Mons-en-Barœul, berceau de La Voix du Nord clandestine
Un article d'Olivier Hennion et Alain Cadet, paru dans l'édition de Villeneuve d'Ascq de la Voix du Nord, le jeudi 5 septembre 2024, à l'occasion des 80 ans du journal.
Lily, fille de Jeanne Parmentier en 2013, avec en photomontage un portrait d’elle réalisé pendant la guerre par le photographe Mischkind.
La Voix du Nord aurait-elle pu connaître le destin qui est le sien sans Jeanne Parmentier et sa fille ? Ces Monsoises ont en tout cas tenu un rôle déterminant dans la naissance du journal clandestin.
Les grands destins tiennent parfois à un fil. Ce 28 mai 1940, la bombe allemande qui tombe sur le café du carrefour Franklin à Mons-en-Barœul, à quelques mètres à peine du café de la Mairie qui lui fait face, ne se contente pas de tuer la patronne du « Franklin », elle projette aussi la gérante du café de la Mairie, Jeanne Parmentier, dans la grande histoire.
C’était un journal de quelques pages. On donnait des renseignements sur les événements de la guerre.
Par la force des choses, cette femme de caractère qui avait déjà participé au réseau de résistance de Louise de Bettignies durant la Première Guerre mondiale se retrouve embarquée dans l’embryon de résistance qui se met en place dans cette France en pleine débâcle : lieu de transit pour les militaires en cavale, salle de réunion clandestine pour ceux qui refusent la défaite…
Lily, la fille de Jeanne entraînée dans l'aventure.
Le café de la Mairie en vient tout naturellement à accueillir les fondateurs du journal clandestin La Voix du Nord.
Le 1er avril 1941, Natalis Dumez et Jules Noutour fondent un journal clandestin, La Voix du Nord. Natalis Dumez qui a déjà travaillé pour plusieurs journaux avant-guerre recrute Jeanne Parmentier pour l’aider dans cette aventure.
Cette dernière n’hésite d’ailleurs pas à entraîner sa fille, Lily, dans la conception du premier numéro : « Lorsque Natalis Dumez a demandé à ma mère si elle connaissait quelqu’un qui sache taper à la machine, elle a répondu « Oui, bien sûr, ma fille ! », se souvenait Lily dans nos colonnes en mai 2013, un an avant sa mort à l’âge de 99 ans.
C’est ainsi que Lily, qui a largement documenté ces périodes troublées dans ses « Carnets de guerre », va dactylographier les stencils du premier numéro du journal, daté du 1er avril 1941. « C’était un journal de quelques pages. On donnait des renseignements sur les événements de la guerre. On disait des choses différentes des journaux et de la propagande. Cela nous permettait de garder le moral », expliquait-elle en 2013. Lily et sa mère seront à la manœuvre (conception et distribution) de plusieurs numéros jusqu’à l’hiver 41. Ce petit journal de cinq feuillets, distribué à l’origine à moins de 3 000 exemplaires, et sous-titré « Organe de la résistance de la Flandre française » devient rapidement un réseau de résistance à proprement parler.
Face à la pression allemande qui s’accentue, le site de fabrication de La Voix du Nord déménage plusieurs fois. Les deux fondateurs et Jeanne Parmentier sont finalement arrêtés par la Gestapo entre 1942 et 1943. Lily reviendra de déportation en 1945, dans une région où La Voix du Nord est désormais sortie de la clandestinité.
Jeanne Parmentier a « piqué » sa rue à l’importateur de la pomme de terre…
Longtemps, les femmes qui ont contribué aux grandes heures de l’histoire sont restées dans l’ombre des hommes… Jeanne Parmentier n’a pas fait exception à cette regrettable règle, puisque malgré son passé de résistante durant les deux guerres mondiales, la Monsoise ne bénéficiait pas, jusqu’à récemment, du moindre signe de postérité dans sa commune.
Les joies de l’homonymie faisant bien les choses, Jeanne Parmentier a finalement bénéficié (de manière posthume) du flou entourant la rue Parmentier à Mons, dédiée depuis 1896 à celui qui importa la pomme de terre en France (ce qui est aussi, reconnaissons-le, une très bonne idée). À l’initiative d’un groupe minoritaire du conseil municipal, la rue a été rebaptisée partiellement « rue Jeanne-Parmentier » en février 2023.
Colette Hallynck, conseillère déléguée à la mobilité durable qui a piloté cette opération pour le compte de la municipalité, a rappelé à cette occasion que : « C’est important de montrer le rôle des femmes dans les circonstances difficiles et surtout leur courage. Jeanne Parmentier a su diriger un réseau de résistance avec beaucoup d’efficacité et de légitimité. »