Historique

Pendant la Première Guerre mondiale, le Fort MacDonald était une prison allemande

Articles parus dans La Voix du Nord sous la plume d'Alain Cadet


Enfouies dans les greniers allemands depuis un siècle, par la magie d’Internet et du libre-échange des images de la période 14 18, jusqu’ici inconnues, reviennent sur leur lieu de naissance. Celle-ci est la première photo connue du Fort, pendant la Première guerre mondiale. Si l’endroit ne nous était aussi familier, on se croirait au cœur de l’Allemagne, un bel après-midi d’été. Sur le pont, sont disposés des arbustes décoratifs. La lourde porte a été remplacée par une élégante grille de fer forgé. Le mur de briques du fond est recouvert d’un crépi avec un écusson en stuc affirmant la germanité de l’endroit. Des phrases en écriture gothique expriment la fierté d’être allemand. Avec la ligne électrique qui vient alimenter le bâtiment et les officiers (dont un médecin), souriants, comme en représentation, l’illusion d’un petit coin de la belle Allemagne tranquille et moderne est parfaite, Mais la réalité de l’endroit est très différente. Lorsqu’en mai 1917, arrive au Fort Macdonald une colonne de prisonniers australiens, ces derniers ont déjà subi trop d’épreuves pour être sensibles à l’ironie d’être enfermé dans un lieu les qui porte un nom britannique. Le 11 avril 1917, la 4e division australienne attaque la ligne Hidenburg à Bullecourt (62) sans chars ni préparation d’artillerie. Elle enlève la première ligne mais submergés sous le nombre, sans munitions pour continuer le combat, ses soldats doivent se rendre. Le bilan est éloquent : 3000 hommes hors de combat dont 1170 prisonniers. La plupart sont dirigés vers Lille, à pied et parfois en camions. À chaque traversée de ville ont fait défiler les prisonniers défaits devant la population. Voici le récit de l’arrivée à Lille du sergent William Groves du 15e bataillon : « Une fille, encore toute petite et dont sa maman ne pouvait nous cacher sa sympathie, commença à marcher vers nous, un paquet à la main. L’un des gardes quitta sa file et se précipita vers elle. D’un coup de fusil, il l’envoya s’écraser sur le sol et confisqua le paquet à la grande joie de ses Kamaraden »

240 de ces hommes sont internés au Fort Macdonald. Ils n’ont rien à manger, vivent dans la saleté, la misère et le confinement : pas de literie ! La seule installation sanitaire a débordé depuis longtemps ! Certains prisonniers s’évanouissent. Quelques-uns parviennent à rester stoïques. D’autres ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur désespoir : « De temps en temps, un gars s’approchait de la porte la martelant de ses poings et criant sauvagement », témoigne Groves. « Rendus fous par cette faim qui nous tenaillait, couverts de vermine, victimes de punitions terribles, au bout de cinq jours nous avions complètement sombré dans le plus sombre des désespoirs («the arms of black melancholy ») ».
Si cet épisode est si bien connu, c’est que les témoignages des survivants ont été recueillis. Il a été relaté dans le n°46 de la revue  «Wartime », («The arms of black melancholy »), sous la plume d’Aaron Pegram, son Rédacteur en chef. Aaron,  professeur d’histoire à l’université de Canberra est l’arrière petits fils du private Oswald Mc Clelland, du XIIIe bataillon, qui faisait partie du groupe des prisonniers.

Par la suite, dans la zone des combats, sous le feu de l’artillerie alliée, on confia à ces soldats une tâche inhumaine. Il y avait un monde entre les conditions faites aux prisonniers de guerre en Allemagne et ceux du no man’s land du Nord de la France où l’armée allemande manquait cruellement de main-d’œuvre. Durant la guerre, 337 prisonniers australiens sont morts en captivité des suites de leurs blessures.


Pendant la Première guerre mondiale le fort Macdonald servait aussi de prison pour les civils

Article écrit pour La Voix du Nord sous la plume d'Alain Cadet

Entre les deux guerres, les Monsois ne se sont guère montrés bavards. On sait très peu de choses sur l’époque et la mémoire de l’occupation a disparu avec ses derniers témoins. Des cartes postales d’éditeurs allemands nous reviennent aujourd’hui et soulèvent un coin du voile sur la dure réalité de Mons occupée.


Celle-ci, représente des prisonniers civils dans la grande cour du fort Macdonald. Regardez-la bien ! Votre grand-père ou votre arrière-grand-père figure peut-être sur le cliché. La plupart sont des hommes jeunes… certains ne sont encore que des gamins. Le photographe connaît son travail. Il a soigneusement choisi son décor : le mur, au fond, agrémenté d’un drapeau à l’aigle impérial, les fenêtres grandes ouvertes (élément sympathique pour un lieu carcéral) dans lesquelles s’encastre, en clair-obscur, un prisonnier qui mange sa soupe. L’image est soigneusement mise en scène avec l’étagement des plans, les attitudes improbables des jeunes gens du premier rang, la disposition des hommes. La présence de l’occupant est seulement indiquée par un officier du corps médical, pipe à la bouche. Cette image appartient à la propagande allemande. Elle raconte que les prisonniers civils sont bien traités dans la zone occupée comme veulent l’attester la présence d’un sandwich ou une écuelle destinée à recevoir la soupe. En fait de soupe, Aaron Pegram, professeur d’histoire à l’université de Canberra, qui a eu accès au témoignage des prisonniers australiens détenus au Fort pendant la même période écrit : « La nourriture (ou son manque) occupait les esprits des hommes. Beaucoup mâchaient des orties ou de l’herbe pour supprimer les douleurs de la faim dues  à un travail pénible et aux maigres rations de pain noir et d’ersatz de café ». Les civils français étaient-ils mieux traités ?



Qui étaient-ils ? On sait que les Allemands arrêtaient systématiquement des otages de « la classe considérée » parmi lesquels se trouvaient plusieurs adjoints du conseil municipal (le maire étant trop vieux). Mais l’usage était de les enfermer à la Citadelle de Lille. On pouvait aussi être détenu pour une peccadille : on emprisonnait même les enfants qui franchissaient la ligne de démarcation entre deux villages pour se rendre chez leur grand-mère ! Mais ces prisonniers, jeunes pour la plupart, sont beaucoup trop nombreux en comparaison de la taille de la ville. La guerre de 14 18 est la première guerre industrielle. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’homme dispose, d’outils modernes susceptibles de produire sa propre destruction. La conduite de la guerre et l’effort des industries d’armement sont étroitement liés. L’Allemagne, après 1914, est contrainte de retirer 740 000 ouvriers du front pour soutenir sa production industrielle. Elle ne dispose pas, comme ses adversaires, de réserves de main-d’œuvre. La force de travail des populations des zones occupées (2 millions de personnes) représente un enjeu non négligeable pour maintenir l’effort de guerre. L’armée allemande ne trouve que très peu de candidats pour un travail volontaire rémunéré. Alors, par ordonnance du GQG ont fait procéder au recensement de tous les hommes de 17 à 55 ans. Ils sont considérés comme prisonniers de guerre et astreints au travail obligatoire… à proximité et même sur le front. C’est probablement ceux de Mons et des environs qu’un photographe de Dresde a rencontrés dans la cour du Fort, un bel après-midi d’été.






Mons-en-Barœul : Premières lettres d’un soldat à sa famille en zone occupée en 1914 (1/4)

Voici le début d’une série qui comptera quatre volets pour revivre le quotidien de Monsois pendant la Première Guerre mondiale.

Nous débutons avec deux lettres d’un jeune soldat, Émile Lhomme, l’oncle d’une Monsoise, Manon Wilson, qui détient les archives de la famille. En octobre 1914 alors que Lille va bientôt être occupée, on dirige les jeunes recrues vers le littoral. Malgré les contrôles et les menaces, deux des lettres envoyées par Émile parviennent à sa famille, et renseignent sur la vie quotidienne des conscrits.

Émile est né en 1894, à Fives. Au début d’octobre 1914, il est mobilisable. L’avancée des Allemands a peut-être avancé sa date d’incorporation. Il est envoyé vers l’ouest. Dunkerque est la seule sous-préfecture du département du Nord encore en France libre.


Le jeune soldat Emile Lhomme (à droite) photographié avec son cousin Raphaël, à Verdun, en novembre ou décembre 1914.
« On est parti sur Béthune, et on est arrivé à midi. Une femme a bien voulu nous donner de l’eau pour nous laver. Puis nous sommes partis, à 20 km plus loin. Nous sommes arrivés à sept heures du soir. On ne tenait plus debout. Les gens de ces patelins sont des crapules. Ils nous auraient laissés mourir de faim. Quand je suis parti, tu m’avais donné quelques tartines. Je les ai mangées, vers sept heures du soir pour le souper, et depuis cette heure-là nous avons plus eu de pain jusqu’au dernier soir, à sept heures. À Pernes-en-Artois, on a réussi à avoir un train qui devait aller à Gravelines. Il y en avait pour deux heures au plus. On est resté 17 heures dans le train. On y a passé la nuit sans pouvoir dormir. On a réussi à avoir un pain que nous avons payé 22 sous. Nous avons dû le jeter tellement il était mauvais. Nous sommes arrivés à Calais comme des affamés. Là, les gens étaient un peu meilleurs. Une cabaretière nous a fait une ratatouille avec un morceau de viande puis nous avons couché sur une paillasse, que cette femme nous avait donnée. C’est la première nuit où nous avons pu dormir à peu près. On était le dimanche. Nous étions à ce moment à cinq. Mon parrain, Raphaël, Jules, Achille Hautecoeur et moi. Je t’assure qu’on a eu de la chance d’avoir Achille qui nous a toujours trouvé à loger, en route, sur de la paille ou sur des sacs… et même à manger. Le lundi on s’est promené dans Calais, et on a pris le train pour Gravelines. »


Puis il raconte son conseil de révision : « Depuis notre arrivée, le 12 octobre, nous dormons sur la paille. Vivement que je revienne ! On est peu nourri : deux morceaux de pain et un petit morceau de pâté. Je t’assure que j’ai souvent faim et je n’ose rien acheter parce que je n’ai presque plus de sous. J’ai été obligé d’en dépenser. Après le conseil, à Gravelines, on va partir aussitôt. Ça m’ennuie, parce que je vais partir sans sous. Enfin, je tâcherai de me débrouiller. » Émile Lhomme a été ensuite affecté au 151e régiment d’infanterie, à Verdun, pour effectuer ses « classes ». A.C. (CLP)




Mons-en-Barœul : Premières lettres d’un soldat à sa famille en zone occupée pendant la Grande Guerre (2/2)

Cette lettre, datée 5 novembre 1914 fait partie des deux seules que le soldat Émile Lhomme a pu faire parvenir à sa famille. Gaston, celui à qui il l’a confiée, a sans doute risqué sa vie pour l’acheminer en zone occupée.


On reconnaît Emile (à droite), Raphaël (à gauche). Le soldat du milieu est probablement l'un de ceux cités dans la lettre d'Emile.

Elle nous a été confiée par sa nièce, Manon Wilson, qui l’a gardée précieusement. Elle est adressée à sa mère. Sans nouvelles des siens, ignorant ce qui se passe en zone occupée, le jeune soldat est très inquiet. Voici ce qu’il écrit :

« Chère mère et sœur,
Je ne sais plus comment je vis. On nous a raconté qu’à Lille, tout est démoli et qu’on est encore en train de désinfecter les maisons. Aussi j’ai peur qu’il ne t’est arrivé malheur et ça m’ennuie d’être sans nouvelles de toi, ainsi que de mes sœurs. Moi, ça va comme ci, comme ça. Je n’ai plus de sous et je ne sais pas ce que je vais faire. Impossible de t’écrire. C’est pourquoi je donne ma lettre à Gaston. C’est la troisième lettre que je t’écris et je ne suis sûr que tu ne les as reçues. J’ai passé le conseil à Bourbourg et je suis pris, bon soldat. Alors, j’attends d’être envoyé à mon régiment. Ça m’ennuie d’être pris, sans vous avoir tous revus, mais, que veux-tu, il faut s’en faire une idée ».

Visiblement, le jeune soldat est parti avec très peu d’argent en poche, ce qui n’est pas adapté à la vie en caserne, en 1914 :
« Si j’avais seulement encore quelques sous, je le prendrais du bon côté. Tu ne me verras plus de sitôt. Je crois même, sept ou huit mois mais, ce que je demande, ce sont des nouvelles de Lille, de toi surtout. Je me figure que notre maison est démolie et qu’il vous est arrivé un malheur. Tu dois te figurer si je me fais de la bile pour vous autres. J’espère qu’il n’y aura rien du tout et que, quand je reviendrai en permission, que je vous retrouverai tous en bonne santé. J’ai écrit à papa mais je n’ai pas pu lui donner l’adresse pour la réponse, ainsi qu’à toi, puisque je ne suis pas encore caserné.
Maintenant, ce qui m’embête le plus c’est les sous. Aussitôt que je vais être en caserne, je vais écrire à Tante Emma et lui demander pour me prêter 15 Fr. Je crois que tu ne seras pas en colère. C’est le seul moyen que j’ai trouvé. Tu la rembourseras aussitôt que tu seras sûre que la poste marche bien. Quant à moi, je ne suis pas trop mal pour le moment et on est à peu près nourris. C’est surtout quand je suis parti de Lille que j’ai été forcé de dépenser de l’argent, sans cela j’aurais eu faim… quoi que j’aie eu fort bien faim. Je dors dans la paille dans une cave. Raphaël, Jules et Charles sont avec moi. Mon parrain est expédié dans une autre direction, avec Pierre, du côté de Rouen.
Je ne vois plus rien à vous dire pour le moment, sinon que j’espère vous revoir un jour en bonne santé. Embrasse bien pour moi Émilienne, Lucienne et Julienne. J’espère qu’elles n’ont pas eu trop peur pendant les bombardements.
Chère maman, je t’embrasse cent fois et au revoir. À bientôt de tes nouvelles… Je t’écrirai aussitôt que les allemands seront partis pour te donner mon adresse.
Émile ».

Quelques jours plus tard le jeune soldat partira pour Verdun faire ses « classes », au 151e régiment d’infanterie. Cette période de formation terminée, il reviendra dans le Nord pour participer à la Bataille des Flandres dans le secteur de Zneiuport, Dixmude et Teenstraate. Il meurt au champ d’honneur le 7 septembre 1916, à l’âge de 22 ans.




Mons-en-Barœul : La vie des Français occupés et les belles cartes postales de l’armée allemande (1/2)

Cette carte postale, acquise il y a quelques jours par Jacques Desbarbieux est la 499e connue, concernant la commune de Mons. Depuis une dizaine d’années, on n’en découvrait plus de nouvelles. Depuis peu, par l’effet d’Internet, on voit, près d’un siècle plus tard, réapparaître des images de la période 14-18. Longtemps enfouies dans les greniers allemands, elles retournent sur les lieux de leur production.


L'armée allemande descend la rue Jeanne d'Arc à Mons-en-Barœul

Celle-ci, apparemment anodine, est prise du haut d’une fenêtre, rue Jeanne-d’Arc, face au bois « Gras » protégé par son mur. Elle représente une compagnie allemande en marche, au pas, précédée de son officier à cheval. On peut y voir un symbole de l’organisation et de la puissance de l’armée allemande. Dans la commune voisine, Lille, d’autres moins aimables, d’octobre 1914, représentent les prisonniers français, exhibés plusieurs jours durant, de la Citadelle à la gare et de la gare à la Citadelle, sous la conduite de leurs gardiens. Cette production est l’œuvre d’éditeurs venus d’Allemagne tandis que l’on interdit aux Français de produire ou diffuser la moindre carte postale. Toute correspondance avec la France libre ou une autre ville occupée est interdite. Une ordonnance de février 1915 stipule : « Il est défendu, sous peine de mort, aux habitants des territoires occupés par les armées allemandes d’entretenir n’importe quelle correspondance entre eux ou avec des personnes habitant en France ou à l’étranger ». En avril 1915, trois Lillois sont condamnés à 15 jours de prison pour « commerce de cartes postales ». Les transports « illicites » de lettres par les personnes circulant en zone occupée sont sévèrement réprimés. En début 1916 on ajoute : « La communication de photographies, dans le but de les transmettre à des personnes habitant les territoires occupés sera considérée comme communication de nouvelles ».


Le château Decoster et son parc, réquisitionné comme tous les belles demeures
Ces mesures sont une des illustrations de la politique allemande qui cherche à isoler les habitants des territoires occupés du reste du pays et à les démoraliser. Dès le 15 octobre 1914, le général Von Heinrich, gouverneur de Lille, fait placarder cet avis : « Il est défendu, sous peine de mort, de lancer des dirigeables, des aéroplanes des ballons montés, de lâcher des pigeons voyageurs, d’installer des appareils radio télégraphiques de faire des signaux optique ou de faire sonner les cloches ». Les « coulonneux » doivent tuer leurs chers pigeons. L’un d’entre eux sera même fusillé pour ne pas l’avoir fait. On confisque tous les moyens de transport : camions, automobiles et vélos. D’ailleurs il est strictement interdit, sans laissez-passer, de se rendre dans les villages voisins. Dans chaque rue ou chemin limitrophe entre deux communes, à l’endroit de la ligne de démarcation, un écriteau en français et en allemand rappelle cette interdiction. On verra même des enfants punis de prison pour s’être rendus chez leur grand-mère !


Parcours du combattant pour les soldats allemands dans le parc du château Decoster

On réquisitionne aussi les charrettes en état de marche et leurs chevaux. Les moyens d’assurer l’alimentation de la population font défaut. Pour les 5 807 habitants du village comme pour les deux millions de Français de la zone occupée, les conditions de vie sont terribles, aux antipodes des belles cartes postales allemandes avec leurs soldats souriants, partageant un verre ou s’adonnant à la culture physique dans les parcs des demeures monsoises. A.C. (CLP)


Soldats allemands en tenue de gymnastique dans le parc du château Decoster

Mons-en-Barœul : La dure vie quotidienne des Français occupés et les belles cartes postales de l’armée allemande (1914 – 1918) 2/2

L’occupation de la métropole aura duré 1 465 jours : autant de jours de malheur ! Les images de l’occupant nous racontent une autre histoire. On y voit des cavaliers paradant devant les belles demeures qu’ils ont réquisitionnées. Leurs hommes prennent leur repas devant les granges des fermes, du voisinage. Exceptionnellement, l’une d’entre elles  rappelle les dures réalités de la guerre, comme cette rue détruite, en 1916; par l’explosion d’un dépôt de munitions.

La mémoire précise de ces années d’occupation a été longtemps enfouie dans les familles, comme une période honteuse. Elle a disparu avec la mort des derniers témoins. Notre connaissance de la vie quotidienne à Mons, dans cette période, provient bien souvent de ces « belles  images » allemandes. Les grandes propriétés avaient été réquisitionnées pour les besoins de l’armée. Le « Vert Cottage », la maison de l’architecte Gabriel Pagnerre, avait été reconvertie en « Kasino », une maison de repos pour les officiers… de même qu’une autre, rue Parmentier, appartenant à la famille Colléate. Dans le lieu de résidence de la famille Virnot, le château Faucheur, il y avait, en plus, une cantine. 


Ci-dessus, les chevaux broutent l'herbe du parc du château Faucheur (l’actuel collège Lacordaire) qui devenu un Kasino est occupé par les troupes allemandes. Ci-dessous la même scène dans une autre belle demeure de Mons-en-Barœul.



Les fermes voisines comme celle d’Halluin, sont réquisitionnées pour abriter les hommes de troupe. Il est probable que d’autres soldats logeaient dans toutes les maisons où cela se révélait possible.


Les hommes de troupe sont hébergés dans les fermes. Ici, probablement, la ferme d’Halluin proche de plusieurs châteaux réquisitionnés.

On sait aussi que l’armée allemande avait transformé le Fort en prison. Les prisonniers, dont un contingent Australien, y vivaient dans des conditions épouvantables. Parfois on les emmenait sur le front pour creuser des tranchées ou poser des barbelés dans les endroits les plus exposés. Beaucoup sont morts de privation ou sous les balles des alliés.

Pour les Monsois, la situation est peu brillante. Les jeunes filles, réquisitionnées sur les « champs de guerre », doivent sous la contrainte, cultiver et moissonner au profit de l’armée allemande. La population, et particulièrement les femmes, sont l’objet de mesures vexatoires. 


Des jeunes filles, photographiées près du fort, se rendent aux « champs de guerre ». Elles travaillent la terre, 10 heures par jour, pour un salaire dérisoire au profit des allemands.

Le rationnement, très strict, conduit à une famine endémique. La mortalité est le double de celle de la France libre. Pendant ce temps, les rares feuillets d’information autorisés sont à la seule gloire du Kaiser. Comme les pendules des clochers, la presse, est à l’heure allemande. Elle colporte rumeurs et fausses nouvelles. À la fin de la guerre, plus très sûr de sa victoire, l’occupant se livre au pillage systématique de toutes les ressources et à la destruction de l’outil industriel. On sait, qu’en 1917, cloches et tuyaux d’orgue de l’église Saint-Pierre ont été emmenés pour être fondus tandis que les cuves en cuivre de la Brasserie Coopérative sont arrachées. Les bonnes machines des usines du Nord sont emmenées en Allemagne et celles qui restent, systématiquement saccagées afin que la région ne puisse plus être, après-guerre, concurrente, de l’Allemagne. « Qui pourrait nous blâmer d’avoir mis à bas les riches territoires industriels du Nord de la France à un point tel que, pour des générations et peut-être pour des siècles, elles ne puissent entrer en concurrence avec notre industrie » écrit le Kölnische Zeitung, le 10 avril 1916. Le 11 novembre 1918 a été fêté, dans le Nord avec beaucoup plus de retenue que dans le reste de la France. « Nous avons été étonnés d’apprendre le délire des parisiens à la nouvelle de l’armistice », déclare un lillois. « Pour nous notre capacité de joie a été vidée dans les jours de la délivrance. La guerre a « été  finie ce jour-là. Il faudra bien des jours encore pour que nous redevenions des êtres normaux ».




Un appareil allemand a été abattu.


Cette carte postale, acquise il y a plusieurs années par un collectionneur, n’avait pu être interprétée à cause de sa calligraphie gothique. Grâce à la complicité d’amis allemands, il a été possible de la lire. Le  document émane d’un certain Johannes Reinhardt. Il était en poste, à l’état-major allemand, dans le château Faucheur (l’actuel collège Lacordaire), à Mons-en-Barœul.

Une carte postale, envoyée de Mons-en-Barœul, en 1916, par un certain Johannes Reinhardt, membre de l’état major. Il fait état de la destruction du dépôt de munitions des 18 ponts, à Lille.

Cette image représente le quartier des « Dix huit ponts » après l’explosion du dépôt de munition allemand. La déflagration a été si énorme qu’elle a été entendue jusqu’au milieu des Pays-Bas. Les vitraux de toutes les églises alentour, sur plusieurs kilomètres, ont été soufflés. L’explosion a détruit une vingtaine d’usines, des centaines de maisons et provoqué la mort de 104 civils.

Voici le commentaire que l’officier allemand a écrit au dos de sa carte postale :
« Mons en Barœul le 11/02/16
Explosion de l’entrepôt à munitions de Lille le 11/01/16 : De très nombreux civils sont morts à cette occasion. Le matin, les corbillards passaient l’un derrière l’autre alors que nous étions à l’exercice. Pareillement, de nombreux cortèges funèbres ont été organisés le matin pour ceux qui étaient morts de maladie. Des restaurants et des magasins entiers sont interdits aux militaires allemands ».
Johannes Reinhardt


La carte allemande montrant les destructions dans le quartier des 18 ponts comporte au verso ce texte, en ancienne écriture cursive, écrit le 11 janvier 1916 à Mons-en-Barœul, par l'officier allemand Johannes Reinhardt. A cette époque les gradés de l'armée allemande étaient logés dans les belles demeures réquisitionnées de l'avenue des acacias, dont le château Faucheur et le château Virnot.


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La résistance à Mons-en-Barœul durant la deuxième guerre mondiale
à l'occasion des 70 ans de la libération de la ville

Une série de 6 articles d'Alain Cadet parus dans La Voix du Nord







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L'histoire du monument aux morts de Mons-en-Barœul

Une série d'article paru sous la plume d'Alain Cadet dans la Voix du Nord 
à l'occasion du centenaire de la guerre 1914-1918





Pierre Brasselet a marqué l’histoire de « son » monument aux morts

Publié le 7 novembre 2014 dans La Voix du Nord

Le monument aux morts, rénové pour le centenaire de la guerre 1914-1918, a été inauguré en 1924. Depuis, il a connu quelques modifications. Pierre Brasselet, appelé en Algérie, fait partie de ceux qui ont écrit son histoire.
C’est grâce à l’engagement de Pierre Brasselet que les noms des soldats tombés  en Afrique du Nord sont inscrits sur une stèle installée square Montesquieu.

Pierre Brasselet suit un itinéraire qui passe par l’école Saint-Honoré, le patronage, puis les scouts. Il y acquiert du bagage en matière d’allumage de feu, préparation de la « popote », récurage de gamelles et bidons en tous genres. « C’est une première forme de forme de vie sociale, commente-t-il. J’ai retrouvé cet état d’esprit, plus tard dans l’armée. Ce sont des occasions où des gens très différents apprennent à vivre ensemble, affrontent et surmontent les difficultés. »
En 1955, fini les vacances ! Il embarque pour un voyage moins agréable, Bône, en Algérie. Il va effectuer 28 mois de service militaire à la frontière tunisienne. « Il y avait des barrages électrifiés pour empêcher les infiltrations du FLN, se souvient-il. Nous assurions le transport de troupes, en chemin de fer, pour le régiment voisin de la Légion étrangère. Ils ont eu beaucoup de morts. Plusieurs années, après mon retour en France, dans la rue, j’étais toujours sur le qui-vive de peur que quelqu’un ne me poignarde dans le dos ! Nous avons vécu une bien triste période. »
À 24 ans, Pierre devient le plus jeune conseiller municipal du département du Nord. Pendant les 24 années qui vont suivre, il accompagne plusieurs maires et plusieurs de leurs mandats. Parallèlement, il devient le responsable de la section communale et vice-président de la section de Lille Métropole-Mons-Hellemmes de la FNACA (fédération nationale des anciens combattants, Algérie, Maroc, Tunisie).

Tous les noms sur le même édifice

À cette époque, le nom des soldats tombés en Indochine et en Algérie n’est pas le bienvenu sur le grand monument aux morts, square du Combattant. L’ancien d’Algérie fait appel à la générosité et organise une souscription. Le maire de l’époque, Marc Wolf, règle à lui tout seul la moitié du budget sur son indemnité d’élu. La stèle et ses noms seront installés square Montesquieu. Désormais, c’est à cet endroit que débuteront les cérémonies patriotiques avant de se rendre ensuite au « grand » monument.
Il y a quelque temps, on a pu enfin inscrire tous les noms au même endroit, et la rénovation récente du monument aux morts « principal » érigé en 1924 a pris en compte ce changement. Mardi, pour la cérémonie du centenaire de la Grande guerre, Pierre ne se rendra pas à son monument. Il a dû abandonner ses mandats car il éprouve de grandes difficultés pour se déplacer.
« J’aurais un petit pincement au cœur à l’heure de l’événement, avoue-t-il. Je penserai à mes camarades assistant à la cérémonie et à ceux qui sont morts. »
Les cérémonies du 11 Novembre ont lieu mardi, à 11 h, square du Combattant. Retrouvez dans les prochains jours la suite de notre série sur le centenaire de la Grande Guerre à Mons-en-Barœul.


Quel avenir pour la stèle du square Montesquieu ?


La stèle du square Montesquieu n’est plus le lieu de passage obligé des cérémonies patriotiques puisque les noms qui y sont lisibles sont aussi gravés désormais sur le monument aux morts rénové du square du Combattant. Une question se pose. La résidence des Mille Roses va bientôt être remplacée par une nouvelle construction tandis que la parcelle non utilisée devrait être le lieu d’implantation d’un nouveau programme immobilier. Il faudra sans doute trouver un autre endroit pour accueillir la stèle de Pierre Brasselet et de ses camarades.


Mons-en-Barœul : de 1924 à 2014, les quatre-vingt-dix ans de vie du monument aux morts





Publié le 9 novembre 2014 dans La Voix du Nord


Inauguré en 1924, le monument aux morts de Mons-en-Barœul s’apprête à tourner une nouvelle page de sa déjà longue vie. Complètement réhabilité, il présentera un nouveau visage pour la cérémonie de ce mardi.


Avant 1914, on célébrait seulement le 14 Juillet. La fête avait été instituée en 1880, en mémoire de ce jour de 1789 où fut prise la Bastille et surtout du 14 juillet de l’année suivante, fête de la Fédération, décrétée jour d’union nationale. Mais après 1914, cinq ans passent et les dix-huit millions et demi de morts, civils et militaires, appellent un lieu symbolique qui rende hommage aux disparus, permette aux survivants de communier autour de leur mémoire et perpétue pour les siècles le souvenir de cette époque barbare de sacrifices et de douleurs.
La période qui suit le 11 novembre 1918 fait la prospérité des sculpteurs et des marbriers. La moindre petite commune veut disposer de son Monument aux morts. Mons-en-Barœul, qui compte 150 victimes civiles et militaires, aussi. La Ville met tout en œuvre pour réaliser son projet. Il lui faut un certain temps pour réunir le financement mais, le 1er février 1922, Chrétien Lalanne, l’architecte, remet son devis (un peu plus de 45 000 francs de l’époque). L’entreprise Georges Delattre et le sculpteur Dominique Bevilacqua seront les maîtres d’œuvre. L’ouvrage est terminé en 1924. Le rituel des cérémonies du souvenir autour du monument aux morts avec hymne national, sonneries aux morts, appel des noms, se perpétuera jusqu’à la guerre suivante puis renaîtra dès la fin 1944.


Entièrement rénové en 2014

En 2014, 90 ans après sa construction, le vieux monument avait bien besoin d’un coup de jeune. La municipalité a décidé de le rénover. C’est l’entreprise Demarliéres qui s’est chargée du travail. On a décapé la pierre et les noms. On les a réécrits sur une plaque à l’aide d’une traceuse (y compris ceux des soldats morts en Indochine et Algérie). On a sablé, pour produire le creux des lettres. On l’a rempli de peinture résistante aux intempéries. On a légèrement poncé, nettoyé puis traité le monument pour qu’il ne subisse pas les effets des champignons et de la pollution. Le cahier des charges stipule que le résultat de ces travaux doit pouvoir durer au moins 50 ans. Rendez-vous est donné demain au pied du monument restauré.


24 août 1924, la cérémonie patriotique

En ce dimanche d’été, presque au 10e anniversaire du déclenchement du conflit, le conseil municipal a invité les Monsois à découvrir leur monument aux morts. « Une belle fête ! » titre le journal qui relate l’événement. Après la messe prononcée à l’église Saint-Pierre, on se rend en procession jusqu’à l’édifice.

La place du Combattant est décorée de drapeaux tricolores et une estrade a été dressée. Le maire, Gustave Roussier, déjà bien malade, c’est Émile De Goedt, son premier adjoint, qui préside la cérémonie. On a reconstitué une tombe du Poilu veillée par quatre enfants en uniforme : le premier est vêtu en zouave, le second en aviateur, le troisième en fantassin et le quatrième en artilleur. Après une vibrante Marseillaise, Pierre Valdelièvre, poète local, monte à la tribune pour lire sa dernière création. « Dormez, enveloppés dans l’orgueil de la gloire. Et lorsque nos enfants, évoquant la mémoire plus tard demanderont : pourquoi tant exalter tous ces noms ciselés dans le marbre et le cuivre ? Nous dirons : ils sont morts pour que nous puissions vivre. Ils ont versé leur sang pour notre liberté ! »




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Une profession se meurt avec le départ des Frères Dupuis

Article paru dans Nord–Eclair en 1972/73

Victimes du progrès, trop vieux pour se reconvertir, deux Monsois ont décidé de prendre leur retraite, ce sera chose faite à la fin de cette année. Il s'agit des deux frères, négociants en charbon, René Dupuis, 68 ans, et Charles Dupuis, 72 ans.



Ils habitent dans la demeure ancestrale, rue du Barœul, où depuis l'année 1894 on stocke le charbon pour le livrer dans les foyers. Tous les Monsois les connaissent, du moins les anciens, ceux qui se chauffaient et se chauffent encore avec le traditionnel feu de cuisine ; ils ont tous été livrés par les frères Dupuis, restés fidèles en outre au cheval et à la charrette.
Les frères Dupuis sont nés à Mons, dans l'ancienne ferme achetée par leurs parents pour y établir un commerce de charbons à la fin du siècle dernier. Le marchand de charbon vivait bien à l'époque. Le sac n'était vendu qu'à sept sous, mais on en vendait. Point de morte saison. Eté comme hiver, il fallait du feu dans la cuisinière. Première modernisation l'utilisation du gaz de ville pour la cuisine ce qui freina la vente d'été.
M. Dupuis père décéda en 1929. Sa femme reprit l'affaire en main avec ses trois fils. Quant éclata la guerre en 1939, les enfants furent mobilisés, les quatre chevaux de la maison réquisitionnés par l'armée, c'était pour la durée de la guerre, l'impossibilité pour Mme veuve Dupuis d'exercer son commerce ; elle vécut sur ses réserves en attendant la fin de la captivité pour ses trois garçons.
Ils rentrèrent sains et saufs, l'aîné Marcel devait décéder en 1965 ; mais les affaires ne reprirent que très lentement ; il fallait racheter des chevaux à des prix exorbitants, on était loin des prix pratiqués par la réquisition en 1939. En outre, les livraisons étaient contingentées et les quantités livrées selon les tonnages pratiqués pendant la guerre. Malheureusement les Dupuis n'avaient pas exercé pendant la guerre, et les services de ravitaillement ne leur réservèrent que des portions congrues.
L'avènement du chauffage au gaz, au mazout et maintenant à l'électricité, ont encore ralenti les affaires ; quant on pense que toute la Z.U.P. de Mons est chauffée collectivement. Il reste néanmoins encore quelques vieux clients à servir et ils le seront jusqu'à la fin  de l'année ; puis on vendra Bijou le dernier cheval des Dupuis : il a treize ans. La charrette ne trouvera pas d’amateurs à plus de 10 francs. Seules les roues intéresseront quelques collectionneurs et on finira ses jours paisiblement et modestement dans l’ancienne ferme en pensant au sac de charbon à six sous.